Sortie botanique automnale sur les collines marseillaises

Bienvenue à la Panouse, quartier huppé du 9e arrondissement de Marseille, coincé entre deux collines. Prix de vente moyen des villas ? 1 000 000 €. Parfois, elles servent de lieu de tournage comme dans « Vénus et Fleur », second long-métrage du réalisateur marseillais Emmanuel Mouret. Au nord, se situe le Mont Rouvière. Si vous vous y promenez le matin, vous y rencontrerez sûrement les habitants du quartier, des retraités chasseurs en train de balader leur chien. Si vous leur parlez, ne soyez pas surpris s’ils évoquent les « culs-roussets » femelles avec le blanc sur la tête, se désolent de ne plus voir de serins cinis alors qu’ils chantent juste derrière eux, ou s’étonnent de voir des hirondelles de rocher en hiver. Si vous montrez votre air circonspect, ils vous diront qu’ils s’y connaissent et c’est bien ça qui fait peur.

Ce samedi après-midi ensoleillé mais venteux, nous n’y avons rencontré qu’un promeneur un peu perdu. A notre arrivée, un rapace passe. Son croupion blanc est nettement visible. Il a des ailes longues et plutôt larges à la pointe arrondie. Il vole bas. C’est un busard, probablement un saint-martin. Ce sera le seul oiseau que nous contacterons lors de la sortie.

En bordure de chemin, nous pouvons observer une cucurbitacée monoïque aux feuilles hérissées, presque charnues, le cornichon d’âne (Ecballium elaterium). Elle a deux types d’inflorescence : les fleurs mâles sont regroupées en cymes, tandis que la fleur femelle est solitaire. Ici seules les mâles, jaunes à la corolle en étoile, étaient visibles. Les femelles s’étaient déjà transformées en fruits, de petites baies vertes oblongues et rugueuses qui, une fois mûres, se détacheront du pédoncule et propulseront les graines.

Juste à côté, une petite plante aux fleurs jaunes et aux feuilles à l’odeur piquante. Comme toutes les espèces de la famille des brassicacées à laquelle elle appartient, la roquette jaune (Diplotaxis tenuifolia) a quatre pétales en croix, quatre sépales et six étamines. Ses fleurs et ses feuilles sont comestibles, mais il ne s’agit pas de l’espèce cultivée. Eruca Sativa est le nom scientifique de la roquette commercialisée. La diplotaxis a un goût qui se situe entre Eruca Sativa et la moutarde qui fait partie de la même famille. Elle devient amère avec l’âge. La plante a des propriétés stimulantes, diurétiques, expectorantes et antiscorbutiques. Son fruit, le silique, est typique de la famille : c’est une sorte d’une petite gousse déhiscente assez courte (environ deux centimètres de long) et fine de quelques millimètres. Parfois, ce n’est pas un silique mais un silicule. La différence ? Un botaniste me l’a expliquée : « Dans silique, il y a le son QUE et une queue, c’est long, et dans le silicule, il y a CUL et un cul, c’est rond ». Vous avez maintenant un bon moyen mnémotechnique pour les distinguer.

Peu à peu, le Mont Rouvière se dévoile derrière les pins d’Alep (Pinus halepensis) et apparaît l’adret qui ressemble à une falaise. En fait, la petite montagne a servi de carrière. Au XIXe siècle, naissent une vingtaine de carrières exploitées pour la molasse et le calcaire. Celui-ci était utilisé pour la chaux qui servait aux maisons, à la fabrication de soude et de savon, ainsi qu’à la désulfuration en sidérurgie. C’est en 1840 que sont construits les grands fours à chaux industriels du vallon de la Panouse à proximité. L’exploitation du calcaire pour la chaux à Marseille remonte au XVIe siècle : le premier four « artisanal » aurait été construit en 1551. A cette époque, le calcaire provenait des éboulis. Comme combustible, on brûlait des chênes kermès (Quercus coccifera) et des filaires.

Nous montons légèrement et nous profitons d’une vue panoramique sur le littoral marseillais, de Marseilleveyre qui cache à moitié le Mont Rose au massif de l’Estaque. Se dressent devant nous pêle-mêle les imposantes barres et tours des résidences des collines du 9e arrondissement (Rouvière, l’Allée des Pins, Valmante…), le Stade Vélodrôme, le Roucas Blanc et Notre-Dame de la Garde, la Major, le port et au loin devant nous le phare du Planier.

Près du mont, nous observons un arbrisseau dioïque aux feuilles paripennées de la famille des anarcadiacées. C’est un pistachier lentisque (Pistacia lentiscus). Si l’on prélève une feuille, on constate que la base du pétiole « pègue ». Cela est dû au latex résineux que contient la plante. Appelée mastic, la substance est utilisée pour aromatiser les liqueurs et parfois les pâtisseries comme les cornes de gazelle marocaines. A noter que les jeunes pousses sont comestibles. Au Liban, on les consomme telles quelles ou parfois avec de l’ail et des olives. Les fruits sont des drupes d’un rouge sombre de 4 à 7 mm de diamètre.

Nous longeons ensuite la falaise, jusqu’au bout. Là, plusieurs figuiers communs (Ficus carica) ont été plantés. Au mois d’août, on peut se délecter de belles figues. Malheureusement, lorsque nous y sommes passés, toutes avaient été cueillies. A proprement parler, le délicieux aliment sucré, charnu et juteux n’est pas un fruit, mais d’abord une inflorescence, puis une infrutescence. Les véritables fruits sont les sortes de grains microscopiques qui craquent sous la dent. Plante monoïque à l’état naturel, les fleurs femelles contenues dans la figue et séparées des mâles sont pollinisées par un petit insecte, le blastophage. Les variétés cultivées sont habituellement dioïques ou autofertiles. Le figuier est un arbrisseau à latex aux rameaux épais, tortueux et peu nombreux et aux feuilles rugueuses à 3 à 7 lobes ovales ou spatulés. Les figues se mangent crues ou cuites. Les immatures sont utilisées comme légume cuit au Maroc et agrémentent les couscous berbères. Le latex des tiges et des figues immatures est caustique. On s’en sert pour faire cailler le lait, notamment en Israël et dans les communautés juives. Un bon substitut à la présure donc, prélevée dans l’estomac de l’animal. Une bonne nouvelle pour les végétariens.

Nous faisons demi-tour et repassons dans la prairie composée essentiellement de roquette jaune et de fenouil officinal (Foeniculum vulgare), intéressant pour la faune puisqu’il sert de plante-hôte à la très belle chenille du machaon. En parlant du loup, alors que nous commencions à contourner le Mont Rouvière pour redescendre vers la campagne Berger, nous apercevons le papillon aux ailes jaunes en damier avec leurs bandes de points bleus séparées d’un point rouge.

Un peu plus haut, un moro-sphinx, un papillon à la longue trompe qui ressemble à un colibri, butine les fleurs de la centranthe rouge près de ciste blanchâtre (Cistus albidus). La cistacée se distingue de ses voisines par sa couleur d’un vert beaucoup plus pâle. Ce sont en fait les poils des feuilles à l’aspect tomenteux qui leur donne cette teinte. Un peu plus tard, nous observerons une feuille au microscope de poche et nous constaterons que les poils sont bien blancs et translucides. Si l’on regarde bien les fruits, les capsules, on s’aperçoit que certaines sont fermées et d’autres ouvertes. Elles sont déhiscentes. Elle sont compartimentées en plusieurs loges qui contiennent chacune de nombreuses graines.

Nous entamons déjà la descente et nous passons à côté d’un pistachier térébinthe (Pistacia terebinthus). Comme le lentisque, c’est un arbrisseau dioïque à latex, mais dont les feuilles sont imparipennées. La foliole terminale est souvent plus petite que les autres, parfois même absente. Les fruits sont des drupes de 5 à 9 mm de diamètre de couleur rose ou rouge. Le latex donne la térébenthine de Chio utilisée comme antiseptique.

Un peu plus loin, nous apercevons les baies rouges globuleuses d’une salsepareille d’Europe (Smilax aspera) enroulée sur des tiges de chêne kermès sur lequel je prélève un gland. Les jeunes pousses de cette plante épineuse à la tige volubile et aux feuilles cordées sont comestibles crues ou cuites. Les fleurs à la douce odeur de miel sont macérées dans du sirop de sucre pour donner une liqueur. Les racines sont utilisées en Espagne pour la préparation d’une boisson. Elles ont des propriétés toniques, diurétiques et dépuratives. C’est aussi un puissant vasoconstricteur.

A quelques mètres, une autre baie rouge bien ronde se distingue de la végétation environnante. C’est celle d’un fragon (Ruscus aculeatus). En regardant de plus près, on remarque qu’elle est attachée au milieu de ce qui s’apparente à la feuille. Bizarre, non ? En effet, il ne s’agit pas de feuilles mais de cladodes qui font office de rameaux.

De l’autre côté du chemin, un arbousier (Arbutus unedo) attire notre attention. Cet arbuste de la famille des éricacées aux feuilles ovales, coriaces et dentées longues de 5 à 10 cm, produit des baies globuleuses d’un rouge orangé à l’épiderme granuleux qui ont la particularité de mûrir à l’époque de la floraison suivante. Les arbouses sont comestibles. On utilise les branches feuillées avec la saumure des olives pour faciliter leur conservation. Elle sert de plante-hôte à un très beau papillon plutôt rare mais néanmoins présent dans les collines marseillaises, le pacha à deux queues.

Nous descendons de plus en plus et nous atteignons un bosquet composé essentiellement de chênes verts (Quercus ilex) aux feuilles discolores (vert sur la face supérieure, blanchâtre sur l’inférieure). Quand les arbres sont jeunes, elles sont épineuses. Les glands sont des akènes surmontés d’un « chapeau » que l’on nomme cupule. Ils se distinguent de ceux du chêne kermès par leurs écailles. Elles sont appliquées et courtes alors que celles des glands du chêne kermès sont dressées. Chez les deux espèces, les fruits sont comestibles à condition de les hacher et de les faire bouillir plusieurs fois pour enlever les tannins indigestes. En Espagne, ceux du chêne vert sont consommés grillés.

C’est l’heure de refaire le trajet dans l’autre sens afin que les participantes regagnent leur véhicule. Cela tombe bien puisque j’ai oublié une plante en chemin, un arbrisseau de la famille des fabacées aux tiges allongées, dressées, cylindriques, au feuillage rapidement caduque, le spartier (Spartium junceum). Les gousses pubescentes deviennent presque glabres et noires, comprimées latéralement. Déhiscentes, elles étaient déjà ouvertes dans le sens de la longueur.

Monoïque : un même plant a des fleurs mâles et des fleurs femelles.

Cyme : Inflorescence ramifiée, à sommet aplati ou arrondi dans laquelle chaque axe se termine par une fleur.

Paripenné : qui a un nombre pair de folioles.

Drupe : fruit charnu à noyau.

Dioïque : dans la même espèce, des individus ne portent que des fleurs femelles et d’autres que des fleurs mâles.

Tomenteux : duveteux.

Capsule : fruit sec déhiscent divisé en plusieurs loges.

Déhiscent : qui s’ouvre naturellement à maturité. Contraire : indéhiscent.

Imparipenné : qui a un nombre impair de folioles.

Baie : fruit charnu contenant plusieurs graines, mais sans enveloppe dure autour des graines. Les baies ne sont pas forcément de forme sphérique ou oblongue. Les bananes sont aussi des baies.

Volubile : tige qui s’enroule sur d’autres tiges.

Cordé : en forme de cœur.

Cladode : petit rameau vert ayant l’aspect et la fonction des feuilles.

Discolore : qui a des faces de différentes couleurs.

Akène : fruit sec indéhiscent qui ne contient qu’une seule graine

Gousse : fruit sec déhiscent formé par un seul carpelle.

Plantes citées

Cucurbitacées

cornichon d’âne (Ecballium elaterium)

Brassicacées

roquette jaune (Diplotaxis tenuifolia)

roquette (Eruca Sativa)

Pinacées

pin d’Alep (Pinus halepensis)

Fagacées

chêne kermès (Quercus coccifera)

chêne vert (Quercus ilex)

Anarcadiacées

pistachier lentisque (Pistacia lentiscus)

pistachier térébinthe (Pistacia terebinthus)

Moracées

figuier commun (Ficus carica)

Apiacées

fenouil officinal (Foeniculum vulgare)

Cistacées

ciste blanchâtre (Cistus albidus)

Smilacacées

salsepareille d’Europe (Smilax aspera)

Asparagacées

fragon (Ruscus aculeatus)

Ericacées

arbousier (Arbutus unedo)

Fabacées

spartier (Spartium junceum)

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