La Roumanie, modèle agricole pour la France ?

« Dans les années 50, la France est devenue folle. On a remplacé toutes nos bêtes par des engins motorisés et augmenté la surface de notre terre, plutôt que de valoriser nos produits. On a perdu le lien entre le paysan et la terre » Le sage a parlé. Rémi, agriculteur de 70 ans à la retraite venu accompagner la trentaine d’élèves apprentis agriculteurs albigeois dresse un bilan négatif de l’agriculture des cinq dernières décennies en France. « Plutôt que de produire à outrance, il faudrait subventionner les agriculteurs, notamment les jeunes, qui se concentrent sur les petites exploitations et utilisent des techniques traditionnelles comme la traction animale. » Voilà, le message que le vieil homme voulait faire passer à la jeune génération pendant les quelques jours partagés ensemble.

Dans le Maramures, les traditions sont conservées. Traction animale, petites exploitations familiales, ramassage des légumes et des fruits à la main. Ce décor, Rémi l’a connu il y a 50 ans, et pense qu’il faut le conserver. Malheureusement, la région est désertée par les jeunes, partis faire des études à Sibiu, Cluj ou même à l’étranger. Ensuite, la plupart resteront en ville. Seules les personnes âgées vivent à la campagne toute l’année. La campagne et tout son patrimoine meurt à petit feu. Déjà, dans le petit village de Poienile Izei, où les étudiants ont séjourné toute la semaine, un champ de blé a été abandonné.

Au cours de la semaine, les jeunes ont bien sûr mis la main à la pâte. Pour ces adeptes d’engins motorisés, bêcher la terre jusqu’à voir apparaître une petite pomme de terre leur a paru bien pénible, mais ils ont dû travailler tous ensemble. Un vrai travail d’équipe qui noue un fort lien social entre les agriculteurs. Puis entre amis, on peut plaisanter pour rendre la tâche plus agréable. Que ce soit à plusieurs ou aidés par un animal, une vraie complicité se crée entre les individus.

Les étudiants ont aussi visité une bergerie dans les montagnes. Pour ce faire, ils ont dû arpenter un petit sentier pendant plus d’une heure. Là-haut, un berger les a attendus, ayant élu domicile dans un abri de fortune. Traite des bêtes, fabrication des fromages, tout se fait sur place. Régulièrement, le berger redescend pour se laver, s’approvisionner et porter ses productions au village. Il surveille constamment son troupeau de brebis en train de paître. Cette présence humaine, complémentaire à celle du chien, est dissuasive pour les animaux sauvages comme les ours, très nombreux dans cette région.

Bien sûr, la France a connu toutes ses techniques, mais les a délaissées au profit d’une agriculture intensive compétitive. Pourtant, de plus en plus de gens dans ce pays, y compris des citadins, sont intéressés par une agriculture plus réfléchie. Les produits biologiques deviennent à la mode chez la classe moyenne. Et beaucoup passent un contrat pour acheter chaque semaine un panier de fruits et de légumes directement chez un producteur. Cette opération assure à l’agriculteur un revenu fixe décent et supprime les intermédiaires présents dans la grande distribution. Le consommateur, lui, doit adapter son alimentation selon le contenu de son panier, qui change selon les saisons. Il redécouvre ainsi des végétaux « oubliés » comme les topinambours et réapprend à cuisiner les légumes. Certains vont encore plus loin en voulant relancer la traction animale. L’association Prommata dont Rémi fait partie, forme les agriculteurs à cette technique et leur propose des outils légers et maniables. Outre l’avantage écologique, l’agriculteur fait aussi des économies, car une grande partie du foin ingurgité par l’animal sera transformé en fumier qui servira d’engrais.

Les étudiants, après leur diplôme, reprendront l’exploitation de leurs parents. Pour eux, un monde bio relève de « l’utopie ». En 50 ans en France, le contexte économique a changé et l’agriculture française ne peut être extraite de son cadre européen. Beaucoup d’exploitants dépendent des subventions de la PAC. Les étudiants en font partie. L’argent de l’Europe apparaît comme nécessaire. « Autrefois, on produisait uniquement pour la famille, maintenant il faut en plus nourrir les autres. Pour cela, on est obligé de développer de grandes exploitations. », se défend l’un d’eux. Aujourd’hui, les agriculteurs sont devenus de vrais chefs d’entreprises qui doivent gérer une comptabilité et un personnel, en plus de leur parcelle. « C’est dommage que toutes les vieilles techniques se soient perdues, mais il est trop tard pour revenir en arrière. », continue le futur exploitant.

Comme ces jeunes agriculteurs en formation, la Roumanie agricole est en train de connaître une phase de transition. Son adhésion européenne est encore récente et une partie des aides financières est toujours « gelée» par Bruxelles. L’Union Européenne avance « des irrégularités dans les contrôles financiers en Roumanie ». Période de transition, mais de réflexion aussi pour les agriculteurs. « L’objectif du Ministère de l’Agriculture roumain est de créer des fermes familiales compétitives. », annonce Vincent Rousval, professeur d’économie et organisateur de ce voyage. Dans quelques années, les campagnes roumaines risquent de changer de visage.

Paru dans BUCAREST HEBDO

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