Trafic algérien de psychotrophes : les Marocains en ligne de mire

À Casablanca, dans le quartier d’Aïn Sebâa, une femme pleure : ses enfants sont morts, parce qu’ils consommaient des psychotropes. Le « karkoubi » fait des ravages dans les quartiers populaires de la ville blanche. À Moulay Rachid, Derb Ghalef, Derb El-Kabir, Hay Mohammadi, Sidi Moumen, on peut se procurer facilement des comprimés psychotropes de marque « Rivotril » ou « Valzepam ». Mais c’est de la rue Boutouil dans l’ancienne medina, que proviennent les cachets destinés aux autres quartiers de la ville.
Le plus inquiétant, c’est que les lycées et les collèges sont les cibles préférées des dealers : en plus de vendre leur came aux alentours, les trafiquants recrutent des élèves pour que la drogue soit écoulée dans les cours d’école et les salles de classe. À Casablanca, les établissements Okbâa Bnou Nafiî, Walada, Moulay Abdellah et Mostapha El Maâni souffrent le plus du trafic. Particulièrement vulnérables à l’adolescence, les lycéens en quête de sensations nouvelles se tournent vers les drogues : 52 % des adolescents sont des consommateurs réguliers. Ces chiffres du Ministère de la Santé qui datent de 2005 prennent en compte la consommation de tabac et d’ alcool. Face à ce constat alarmant, le Ministère de l’Intérieur récolte des informations auprès des responsables des établissements scolaires pour tenter de mettre fin à ces trafics. En parallèle, le gouvernement s’appuie sur les associations de parents d’élèves afin d’informer les lycéens des dangers liés à la prise de drogues.
Toutefois, Casablanca n’a pas l’exclusivité en matière de consommation et distribution de psychotropes. Les pilules sont également distribuées à Fès, Kénitra, Salé, Agadir et Oujda et surtout Beni Drar. Surnommée « Koweït City », la petite ville de l’Oriental est devenue le repaire des contrebandiers algériens qui réussissent à traverser la frontière. On peut y trouver toutes sortes de produits importés clandestinement : essence, vêtements, produits cosmétiques, matériel électronique… et bien sûr médicaments. Située seulement à trois kilomètres de l’Algérie et à 20 km d’Oujda, Beni Drar est une étape incontournable des trafiquants, souvent issus du marché noir algérien. Véritable passerelle, « Koweït City » fournit les stocks écoulés dans les autres villes du Royaume.
Bien que la frontière entre l’Algérie et le Maroc soit officiellement fermée depuis 1994, les trafiquants connaissent les combines pour traverser. Sur la route entre Maghnia et Oujda, la frontière n’est qu’un fleuve. Pas de mirador ou de grillage ne séparent les deux Etats. Lorsque le lit de l’oued est asséché, le cours d’eau laisse place à des tas de pierres. Même à mobylette, les contrebandiers algériens arrivent à se rendre au Maroc. Le karkoubi présente un avantage non négligeable : très petit, inodore et ultra léger, il se stocke sous forme de tablettes facilement dissimulables sous une couche de vêtements. Non-immatriculés, les cyclomoteurs utilisés permettent aux Algériens de passer inaperçus sur le sol marocain.
Le commerce parralèle des psychotropes est un marché juteux pour les trafiquants. Acheté environ 5 dh en Algérie, un comprimé est vendu le triple aux Marocains. Pendant le ramadan, les prix grimpent jusqu’à 25 dh. À Oujda, Ahfir ou Berkane, la boîte de 40 comprimés vendue dans les souks et même dans certaines pharmacies, coûtent 250 dh, alors que les contrebandiers ne l’achètent que 30 dh. l’unité.
Grâce aux subventions du gouvernement algérien dans la production de médicaments, les médicaments sont très bon marché. D’après un article du Soir d’Algérie, une grande partie des psychotropes destinés au trafic serait issue des laboratoires de Saïdal, un des plus gros fabricants de médicaments algériens. Saïdal commercialise le Diazépam sous le nom Valzépam, en comprimés ou en solution injectable. « Des grossistes mêlés de près ou de loin à ce trafic dont l’agrément est suspendu s’approvisionnent toujours chez le laboratoire », révèle le même article.
Avant de contaminer le Maroc, le karkoubi s’écoule dans les pharmacies algériennes. Enfin, de moins en moins, car, accusés d’être eux-mêmes des trafiquants, la plupart renoncent à distribuer des psychotropes. Beaucoup de clients présentent de fausses ordonnances ou délivrées sans justification par des médecins complaisants. Comme la loi est claire et sévère – un pharmacien qui délivre des psychotropes sous présentation d’une fausse ordonnance encourt une peine de 5 à 15 ans de prison et une amende de 500 000 dinars (environ 60 000 dh), 95 % refusent aujourd’hui de vendre barbituriques, antidépresseurs ou tranquillisants. Le consommateur, quant à lui, est passible d’une peine de 2 mois à 2 ans de prison assortie d’une amende de 5000 DA (600 dh) à 50 000 DA (6000 dh).
De type benzodiazépines, les comprimés psychotropes vendus au Maroc ont un effet désinhibant, sédatif, hypnotique ou anxiolytique. Pour avaler le comprimé, les consommateurs boivent souvent une gorgée d’alcool. Ils sont alors plongés dans un état d’euphorie. Parfois, ce type de médicament peut entraîner des hallucinations, des délires paranoïaques ou des troubles psychotiques. Beaucoup de consommateurs deviennent amnésiques, s’automutilent, ont des idées suicidaires ou meurtrières. Dans les quartiers pauvres, la population en consomme parce que cette drogue bon marché crée un instant un paradis artificiel qui efface la misère de leur quotidien. Neurotoxique très puissant, il est très dur de s’en détacher. Dépression, insomnies, tremblements convulsifs, angoisse, se manifestent quelques heures après la prise. Et ces symptômes peuvent durer jusqu’à un mois et demi. Lorsque les comprimés sont ingurgités avec une autre drogue, comme l’alcool ou le cannabis, les effets sont décuplés. Ce mélange détonant augmente les risques de décès par overdose. Consommer des drogues, une longue descente aux enfers, sans retour possible.

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