Chakib Al Khayari, l’irréductible Rifain

« J’ai eu un rêve », pourrait dire Chakib Al Khayari en paraphrasant Martin Luther King. Son rêve à lui, c’est de voir sa région natale débarrassée du trafic de drogues. Aujourd’hui, cannabis, héroïne et cocaïne envahissent les cours de lycée de Nador. C’est inacceptable pour cet irréductible Rifain, détenu à Casablanca depuis le 17 février 2009.

Poursuivi pour « atteintes aux corps constitués », à la suite de commentaires sur le coup de filet de Nador en janvier 2009, il a été condamné mercredi 24 juin 2009 à 3 ans de prison ferme et 760 000 DH d’amende. Un coup dur pour cet homme qui a toujours clamé son innocence, soutenu par plus d’une centaine d’organisations internationales, de l’Europe à l’Australie en passant par l’Inde et la Colombie, Human Rights Watch et Amnesty International en tête. Son frère Amin, après le verdict est complètement abattu, si bien qu’il en perd ses mots. Lui, qui est d’habitude d’humeur enthousiaste et joyeuse. Mais les avocats ont déjà annoncé qu’ils feraient appel de ce jugement « terrible et inconcevable », selon eux.

Dans la région de Nador, tout le monde connaît Chakib Al Khayari. L’homme aime se faire remarquer par ses prises de position : la seule solution à l’éradication du trafic selon lui ? La légalisation du cannabis. En 2008, le Rifain se prononce ouvertement pour. « Il faut que l’Etat rachète toutes les terres où est cultivé le cannabis et remplacer la plante psychotrope par du chanvre. Cela créerait une économie locale et développerait l’artisanat dans les secteurs du textile », avait-il déclaré. Pour le moment, toute la région de Nador est « contaminée » par le fléau. Selon le farouche militant, la police locale et certains élus seraient complices et en profiteraient pour s’enrichir : comment se fait-il que certains policiers roulent dans des voitures de luxe et habitent des maisons spacieuses, alors que leurs salaires ne dépassent pas les 1500 dh ? Comment de la drogue peut-elle être commercialisée sous les yeux de tous dans les prisons ? Le Rifain ne connaît pas de noms : il ne fait que constater.

Le militant s’est inquiété aussi de la prolifération de zodiacs au large de Nador qui, selon lui, transportent du cannabis du Maroc vers l’étranger, plus particulièrement dans la lagune de Marchica, une zone maritime quasiment fermée : seul un canal de 80 mètres de large contrôlé par les autorités marocaines permet d’y entrer et d’en sortir. Dans une lettre adressée par l’Association Rif des Droits de l’Homme (ARDH) à Sa Majesté le Roi en octobre 2006, son président Chakib Al Khayari fait part de toutes ses observations et prétend que chaque bateau voulant sortir verserait 600 000 dh aux « surveillants » pour obtenir le laisser-passer.

Quelle injustice pour cet homme qui doit encore vivre chez ses parents tellement il est pauvre ! Il partage sa chambre avec son frère, âgé de 28 ans. Ses parents, très malades, font ce qu’ils peuvent pour survivre. Après avoir payé le loyer, rembourser une partie de leur crédit et payé les charges, il reste à la famille à peine 2000 dh. À cause de ses maigres revenus, Chakib, aujourd’hui âgé de trente ans, a dû interrompre ses études. Comme lui et ses proches n’avaient pas les moyens de payer un loyer sur Oujda, il a été contraint d’abandonner ses études après son DEUG de mathématiques. Pourtant, l’étudiant était un élève brillant : il avait obtenu 19 à son bac scientifique, dans cette discipline. Depuis, Chakib Al Khayari n’a pas travaillé : il a décidé de consacrer sa vie aux injustices et a créé en décembre 2005 l’ARDH.
D’aucuns voient le militant comme un espion au service de l’Espagne. Pourtant, Chakib Al Khayari a montré son amour pour sa patrie à plusieurs reprises. Lors de la fête de la révolution du Roi et du peuple, le 20 août 2007, à la frontière de Melilia, le Rifain branche un poste de télévision, le tourne vers le préside occupé et pousse le volume au maximum pendant le discours de sa Majesté. Chakib Al Khayari proteste également contre la venue du roi d’Espagne Juan Carlos à Mélilia le 06 novembre 2007. Patriote, Al Khayari l’est sans aucun doute. Et il a toujours soutenu la position du Maroc sur le Sahara. L’association « Le Sahara Marocain » a témoigné en sa faveur. Son président, Mohamed Reda Taoujni, déclare que lors de ses entretiens avec l’accusé, il n’a pu que constater « l’engagement indéfectible de Chakib Al Khayari en faveur de la défense de l’intégrité territoriale de la patrie ».

Pourquoi donc s’acharner sur un aussi bon patriote ? La justice lui reproche d’avoir touché une somme sur un compte espagnol, sans autorisation. Le versement en question, 225 euros, a été émis par le journal espagnol « El Païs » pour le paiement d’une pige réalisée par M. Al Khayari sur le Maréchal Amzian. Certes, le militant associatif a toujours été ami du journaliste d’El Païs, Ignacio Cembrero, très critiqué par le Royaume : le Rifain lui a souvent servi d’informateur privilégié, tout comme un bon nombre de membres d’associations marocaines, mais est-ce une raison suffisante pour qu’on taxe Al Khayari d’espion ? N’est-il pas possible d’aimer son pays et de pointer du doigt ce qui est inacceptable ? Le militant est également un ardent défenseur de la cause amazigh. Le bureau national du Congrès Mondial Amazigh, basé à Paris, l’a élu président.

Selon son frère Amin et ses proches, le militant dérange à plus d’un titre, mais la justice n’a pourtant rien trouvé de vraiment compromettant pour l’accusé, même après avoir inspecté sa chambre sans l’accord du concerné, son ordinateur et même l’historique de ses comptes en banque. Amin ne comprend pas pourquoi son frère fait l’objet d’un tel acharnement, mais pour lui, une chose est sûre : il y a bel et bien quelqu’un qui veut la peau de Chakib Al Khayari.

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