Coopération nécessaire en Mer Noire

Avec l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’Union Européenne, la Mer Noire est devenue la nouvelle frontière de l’UE, mais aussi une zone d’expansion. Cet espace géographique apparaît aujourd’hui comme stratégique pour les 27 pays. Les enjeux de cette région sont de taille : la Mer Noire est une zone de transit pour les hydrocarbures du Caucase du Sud. A l’heure actuelle, il existe trois conduites : un gazoduc et deux oléoducs. Toutes partent de Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, et passent par Tbilissi en Géorgie. Un oléoduc aboutit à Supsa (port géorgien). Cette conduite, ouverte en 1998, a été fermée en 2006 pour rénovation. Elle devrait rouvrir prochainement. Avant sa fermeture, elle acheminait 850 000 barils par jour, soit environ un pu moins d’un 1 % de la consommation journalière mondiale. La deuxième appelée BTC (Bakou – Tbilissi – Ceyhan, port turc sur la Méditerranée) a pris le relais. Quant au gazoduc BTE, il aboutit à Erzurum en Turquie. Un autre projet d’envergure est en cours d’étude : le gigantesque gazoduc Nabucco qui rejoindra l’Azerbaïdjan à l’Autriche devrait délivrer entre 400 millions et 3 milliards de mètres-cube.

La région de la Mer noire, composée des pays littoraux, de la Grèce, de l’Azerbaïdjan, de l’Arménie, de la Serbie, de l’Albanie et de la Moldavie ressemble à une mosaïque : il n’y a pas d’unité culturelle, linguistique, politique ou géopolitique. De plus, « ces pays ont des intérêts contrastés. La Russie considère que les siens vont bien au-delà de ses frontières : elle possède une flotte dans la Mer Noire. Sa stratégie est double : elle essaie de résister à son occidentalisation et veut imposer à ses voisins une souveraineté faible », explique Michel Foucher, professeur agrégé de géographie d’une université française. « L’autre acteur majeur de la région, la Turquie, est un membre très important de l’OTAN. Elle est la gardienne du détroit du Bosphore, une zone de transit pour l’énergie, traversée par plus de 130 navires par jour. De plus, le BTE fait l’objet d’un partenariat avec la Russie et le pays tend à devenir de plus en plus autonome par rapport aux Etats Unis », poursuit le spécialiste.

Pour mener à bien les projets économiques, la coopération entre les pays est indispensable. Tous les pays sont regroupés dans l’Organisation de la Communauté Économique de la Mer Noire depuis 1992. L’OCEMN possède sa propre assemblée, sa propre banque et son propre conseil d’affaires. Même si l’organisation fait souvent l’objet de critiques sur son efficacité ou sur la suprématie de la Turquie dans ses responsabilités, la dernière réunion d’août 2008 à Kiev a relancé l’intérêt de l’OCEMN pour la région. La Grèce veut créer un fonds de deux millions d’euros, entièrement financé par elle, pour aider aux financements des projets communs des pays de la région. Tous les autres membres ont approuvé cette idée. D’autre part, tous les pays de l’OCEMN font partie du Conseil de l’Europe. Censé entre autres garantir les droits de l’Homme, le Conseil de l’Europe garde un œil sur cette région sensible, où les libertés individuelles sont bafouées dans certains pays. Notons aussi l’importance du GUAM (initiales des pays dont il est composé, à savoir la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan et la Moldavie) soutenu par les Etats-Unis pour contrecarrer la puissance russe.

Et avec l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, la région de la Mer Noire fait maintenant partie de la politique économique de voisinage de l’Union Européenne. L’UE est donc devenue partie prenante dans les coopérations : elle parle de synergie avec la région. La Turquie, candidate à l’UE et membre du Conseil de l’Europe et de l’OTAN, n’est plus un obstacle. En revanche, la Russie pose toujours problème. Mais selon Serban Cioculescu, chercheur à l’Institut d’études politiques de défense et d’histoire militaire, il faut relativiser la dépendance de l’Union Européenne face à la Russie. « Certes, l’UE importe 60 % d’hydrocarbures dont 30 % russes et le niveau de dépendance risque de s’accroître, car il existe des risques techniques, liés au fonctionnement des conduites et des stations de forage, et géopolitiques : la Russie pourrait se montrer plus agressive avec l’UE. Mais, la Russie dépend aussi beaucoup des investissements de l’UE qui peut lui fournir des technologies haut de gamme. Il faut donc que l’Union Européenne adopte une aptitude plus stratégique et pas seulement économique par rapport à son voisin russe. »

Dans ce contexte économique et géopolitique, Nabucco apparaît comme un symbole d’entente entre les pays de cette région. Le projet initial comprenait l’Iran, deuxième pays producteur d’hydrocarbures après la Russie, comme source d’approvisionnement, mais compte tenu du refroidissement de ses relations avec l’UE en raison de la question nucléaire, Téhéran est mis de côté. Les ressources de l’Azerbaïdjan ne suffiront pas. L’UE s’intéresse donc maintenant aux pays de la Caspienne (Ouzbékistan, Kazakhstan, Turkménistan) : elle a signé un traité avec la Russie sur la répartition des ressources gazières provenant de cette zone. Le problème, c’est que certains membres de l’Union Européenne comme la Pologne et les pays baltes refusent un partenariat avec la Russie, car celle-ci n’a pas signé la charte énergétique européenne. Hors, comme le rappelle le politologue Philippe Moreau-Defarges, « pour qu’une décision soit adoptée, il faut l’unanimité. Il faut changer cette règle, mais pour cela, les votes doivent être aussi unanimes. »

Paru dans BUCAREST HEBDO

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