Le moussem des cierges à Salé : un voile de couleurs chatoyantes

Du rose, du vert émeraude, du rouge, du bleu turquoise, du jaune… Un spectacle grandiose a investi les rues de la Médina de Salé lundi 09 mars pour le traditionnel moussem des cierges. Pendant une après-midi, l’austérité des remparts bien conservés entourant l’ancienne cité des corsaires et la pâleur des maisons se sont éclipsées un instant sous la vivacité des couleurs. Après la prière de l’âsr, le cortège démarre du souk El-Kebir, sur les rythmes de la fanfare jouant l’hymne national. Figurent en tête, des chars en forme de bateaux décorés de fleurs portant le portrait de Sa majesté le Roi Mohammed VI. Quelques minutes plus tard, ils atteignent la place des Martyrs où est installée une tribune officielle. Sous les trois grands et minces palmiers de la place, flottent trois drapeaux unicolores (un bleu, un orange et un mauve pâle) et cinq cavaliers zaïanes restent immobiles en tenant leur fusil sur leurs montures parées de dorures. En queue du défilé, des camionnettes portent des miroirs décorés, des caftans étincelants, des boiseries et des poteries. Tout à la fin, apparaît un grand tapis de la couleur du drapeau du Royaume.
À travers cette fête qui honore la naissance du prophète, les Slaouis montrent aussi leur fierté d’appartenir à un pays gouverné par un Roi si bon. Les fruits de leur labeur apparaissent comme des offrandes à Leur Souverain, digne représentant de Dieu sur terre. « Maroc symbole d’accueil, d’hospitalité légendaire; pays foisonnant de trésors enchâssés derrière les remparts de ses villes et cités. Nation ou traditions séculaires et modernisme frayent en symbiose. Cette symbiose profonde entre le peuple et son Souverain à travers les siècles lui ont permis de préserver sa souveraineté, son unité, son intégrité territoriale, de même sa personnalité, son authenticité et son identité », peut-on entendre dans les hauts-parleurs installés sur la grande place des Martyrs.
Dominent le cortège, les treize cierges entourés d’un montant en cuivre. Autrefois portés exclusivement par les Tabjias, les passeurs du Bouregreg, aujourd’hui, tous les Slaouis peuvent avoir ce privilège à condition qu’ils adhèrent à la Zaouïa Hassounia. Si on prend le temps d’observer les détails de ce travail remarquable, on remarque que ces supports sont ornés d’inscriptions à la gloire du prophète Mohamed, le « Dieu est grand ». Le grand moment de la cérémonie reste la danse du cierge. Afin que les non-musulmans, de plus en plus nombreux au moussem, puissent apprécier ce rituel très intense, les organisateurs ont reproduit la coupole de la Zaouïa en extérieur avec une armature de fer. Peu de temps auparavant, les adeptes de la Zaouïa Hassounia ont paradé, habillés d’une belle djellaba pourpre et blanche et de leurs turbans oranges. En transe, ils ont dansé, joué de la nira ou des tambours et l’un d’eux a agité un encensoir. De cette scène, s’est dégagée une ambiance mystique. Rien n’est trop beau pour le prophète.
Célébré depuis le seizième siècle à Salé, le moussem des cierges a été insufflé par le Sultan Sâadien Ahmed Al Mansour Addahbi. Lors d’un voyage à Istanbul pendant la fête du Mawlid, il tomba en admiration devant la beauté du cortège des cierges de la ville. De retour au pays, il convoqua les artisans les plus talentueux de Salé pour que le Maroc célèbre une fête aussi belle que celle donnée dans la capitale ottomane. La fête était déjà célébrée à Meknès et Fès à moindre échelle. Par la suite, seul le moussem des cierges de Salé s’est perpétué. Le Saint quotb Moulay Abdallah Benhassoun fut désigné par le sultan pour veiller au bon déroulement du moussem dans la cité des corsaires. Depuis l’an 990 du calendrier de l’hégire, les Chorfa Hassouniyines organisent le cortège et rendent aussi hommage à leur saint patron, « un des plus grands soufis ». Selon le doyen de ces Chorfa, Abdelmajid Elhassouni, « c’est par le soufisme que Benhassoun s’illustra le mieux, chargé d’un potentiel spirituel et esthétique permanent ». Pour rappeler cet attachement à la culture soufie, une troupe est venue pour chanter et danser en l’honneur de la « perfection de la foi ». Salé est d’ailleurs le berceau de la confrérie de la Chadilia. Cependant, cette fête n’est pas reconnue par tous les musulmans : elle est combattue par les islamistes radicaux. Une hérésie, selon eux, puisque la fête de la naissance du prophète ne figure ni dans le texte sacré, ni dans le hadith. Quant à l’aspect festif et familial, ils s’en moquent.
La procession des cierges est donc une histoire de famille. Pas étonnant que les Slaouis viennent apprécier ce spectacle avec leurs enfants. Trop petits pour voir ce qui se passe par-dessus les adultes, les marmots se frayent un chemin entre les jambes de la foule. Plus chanceux, certains sont portés sur les épaules ou dans les bras de leurs parents. Beaucoup s’échangent des bises. Un instant de tendresse partagé entre générations. D’autres enfants font partie du cortège et portent les étendards. Ils sont suivis par le défilé des jeunes mariées. Vêtues de caftans bleu turquoise ou rose et du voile assorti, portées ou assises dans une calèche, les jeunes filles rayonnaient par leur beauté. Elles étaient accompagnées de porteurs de tiafer sûrement remplis d’offrandes. Des enfants se sont aussi donnés en spectacle. Issus de la délégation de l’éducation nationale de Salé, ils étaient venus chanter et danser avec Mohamed Raoui. Juste avant le défilé, planait un groupe de goélands au-dessus de la place des Martyrs. Quelques minutes plus tard, passait un char arborant une peinture d’un palais doré sur un fond bleu où volaient deux colombes. Les messagères de la paix ont répondu à l’appel des goélands. Le moussem des cierges, un moment de spiritualité, d’amour, de joie et de paix. « Choukrane », a crié la foule en liesse à la fin du défilé.

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